ET vOILA LE TRAVAIL
Bienvenue dans Second life
Florette Eymenier travaille sur le travail, car il produit — outre de la richesse — de la douleur. Et cette artiste vidéaste n’aime rien tant que s’interroger sur les manifestations contemporaines de la souffrance qui — malgré nos progrès incessants à fuir la mort — nous replongent malgré nous dans la connaissance de nous-même.
Dans le signal vidéo HD qui nous est transmis ici, s’accumulent de nombreux témoignages sur les formes inédites d’aliénations que subissent les salariés de tous rangs. Mais, que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit nullement d’une œuvre documentaire classique. Le naturalisme et le réalisme social se sont définitivement abstraits de notre quotidien. Le monde qu’il nous est désormais permis de contempler se révèle hanté de gestes architecturaux et un souffle oppressant — sans doute celui de la climatisation — y fait seul office de silence. Les êtres, femmes et hommes, qui s’adressent à la caméra sonnent — de facto — aussi faux et virtuels que le décor où ils s’incrustent. Récitants d’un Verbe qui leur est étranger, ils nous apparaissent dépossédés de leur propre destin.
Ces avatars nous relatent, immobiles, les déconvenues qui ont bouleversé leurs existences. Ils décrivent sans passion les travers et coutumes d’un productivisme entêtant. Métonymiquement, ils deviennent qui l’ordinateur portable qui instaure la dépendance, qui la « time shit » qui asservit le temps, qui le Blackberry qui contrôle la pensée. Tous, ils sont pétrifiés dans la rigueur du cadre et la perfection de l’image. Et, quand ils s’attachent à détailler les symptômes du mal qui les envahit — tendinite du pouce, fatigue, trouble du sommeil, vide existentiel — ils n’expriment alors que le point de vue de fantômes expulsés de leurs propres corps.
Car le pari de Florette Eymenier est avant tout de nous donner à découvrir, sous l’hyperbole, la sinistre virtualité de cette réalité qui nous asservit. Bienvenue dans un monde où le récit de la douleur échappe à ceux qui souffrent. Bienvenue dans Second life.
Patrick Varetz